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grincheuxmarrant
1 août 2012

JO LONDRES 2012. Une judokate autorisée à porter le voile : une défaite pour les femmes


 

LE PLUS. Après de multiples rebondissements, la judokate Wodjan Ali Seraj Abdulrahim Shahrkhani, l’une des deux premières femmes saoudiennes présentes aux Jeux, a été autorisée à concourir la tête couverte d'un voile. Une régression pour la liberté des femmes selon notre contributeur Yves Delahaie.

La judokate Wodjan Ali Seraj Abdulrahim Shahrkhani à son arrivée à Londres, le 25 juillet 2012 (M.NAAMANI/AFP).

 La judokate Wodjan Ali Seraj Abdulrahim Shahrkhani à son arrivée à Londres, le 25 juillet 2012  

Le feuilleton interminable sur le voile islamique aux JO aura rendu son verdict. Il est sans appel pour les femmes.

 

Après de multiples rebondissements, la judokate saoudienne Wodjan Ali Seraj Abdulrahim Shahrkhani a été autorisée à concourir la tête voilée, dans le cadre du tournoi des +78 kg. Nul doute que les caméras risquent de s’intéresser de près à un combat qui n’aurait focalisé sinon aucune attention.

 

D’aucuns pourraient s’émouvoir que l’on discute encore autour du voile aux Jeux olympiques puisque le CIO avait déjà annoncé le 23 juillet dernier qu’il autorisait deux athlètes saoudiennes à participer voilées à la compétition. Le comité s’était alors fendu d’un communiqué qui avait de quoi laisser perplexe :

 

"Le CIO est heureux d'annoncer qu'il a reçu la confirmation du Comité olympique d'Arabie Saoudite que deux femmes participeront pour l'Arabie Saoudite aux jeux Olympiques de Londres cet été".

 

Et c’est bien là le hic : l’Arabie Saoudite avait donc fait de cette autorisation une condition sine qua non pour qu’elle envoie des athlètes femmes aux JO pour la première fois de l’histoire. D’où le communiqué, étonnamment enthousiasme, et les conclusions qu’en avaient tiré certains : par cette décision, le CIO a permis aux femmes de concourir et donc de s’émanciper.

 

Le CIO cède devant l'Arabie Saoudite

 

Ahurissante inversion des valeurs ! En quoi autoriser des femmes à concourir avec un voile, contrainte qui est imposée par le pays, peut-il concourir à l’émancipation des femmes ? Comme le soulignait alors Fabienne Broucaret, journaliste indépendante et auteur de l’ouvrage "Le sport, dernier bastion du sexisme", quand la FIFA en avait fait de même pour le football au début du mois, il ne faudrait pas oublier d’où provient la demande :

 

"Du point de vue des femmes, c’est un leurre de penser que cela va aider à les émanciper. Il faut voir d’où vient la demande : du Koweït, de l’Arabie Saoudite... des pays où les droits des femmes sont bafoués au quotidien, où elles ont parfois même jusqu’à l’interdiction de conduire !"

 

Mais les fédérations sportives préfèrent rester sourdes à la condition des femmes dans ces pays et croire que céder à ces revendications revient à leur donner une liberté, celle de concourir, oubliant qu’elles contribuent aussi grandement à rendre légitime une ligne politique qui ne garantit pas les mêmes droits aux hommes et femmes, et finalement à les priver de liberté tout court.

 

D’autant que ceux qui arguent que ce n’est l’histoire que d’un "voile" se fourvoient : les autorités saoudiennes ont imposé d’autres obligations à l’envoi de femmes aux JO (une demande du CIO, faut-il le préciser, et non pas de l’Arabie Saoudite qui, apparemment, n’a pas cherché à "médiatiser" par elle-même cette première historique…) : en sus du code vestimentaire strict, ont été imposés un accompagnement permanent des athlètes femmes ainsi qu’une interdiction de se mêler aux hommes. La "liberté", en somme. Et l’"égalité", surtout.

 

Un problème de sécurité

 

Si elle a pu défiler "librement" lors de la cérémonie d’ouverture, la judokate Wodjan Ali Seraj Abdulrahim Shahrkhani a toutefois buté sur une autre institution, la fédération de judo, qui n’autorise pas le hijab. Les règlements du judo imposent à ses combattants de se présenter tête nue sur le tatami. Une question de sécurité. Et puis, certainement aussi, une question de culture. Au judo, l’adversaire combat à armes égales, en simple kimono ceinturé. Sans autres signes de quelque nature que ce soit.

 

La délégation saoudienne a décidé de suspendre la décision de faire concourir son athlète à l’autorisation de la Fédération de judo. Officiellement, l’on apprend que les discussions ont été menées par le CIO auprès de cette dernière. Mais qu’allait-elle donc faire dans cette galère sachant qu’il existe un règlement ?

 

Et si le spectre de l’attentat de Londres qui éclata le lendemain de la désignation de Londres comme ville hôte olympique avait guidé l’esprit olympique, par crainte d’un climat qui serait devenu lourd ? Ne serait-ce pas là céder à une menace invisible ? Le conditionnel s’impose mais les interrogations n’en demeurent pas moins légitimes. Finalement, la Fédération Saoudienne a obtenu gain de cause. A moins que ce ne soit le CIO, l’on ne sait plus très bien.

 

L’affaire est d’autant plus lourde que c’est le père de l’athlète qui, en réalité, avait menacé d’empêcher sa fille de concourir. Tout un symbole que cette décision du CIO et qui dépasse assez largement l’esprit olympique. Trop largement. Le CIO a perdu sur tous les plans : religieux, politiques et culturels.

 

Les valeurs de l'olympisme bafouées

 

Il aura profané la neutralité que la charte olympique impose en termes de religion (n’évoquons pas la laïcité, et son concept français sachant qu’il n’est pas entendu de la même manière outre manche et outre atlantique) : "aucune sorte de démonstration ou de propagande politique, religieuse ou raciale n’est autorisée dans un lieu, site ou autre emplacement olympique."

 

Et la charte de préciser :

 

"Les Comités nationaux olympiques doivent préserver leur autonomie et résister à toutes les pressions, y compris, mais sans s’y restreindre, les pressions politiques, juridiques, religieuses ou économiques qui pourraient les empêcher de se conformer à la Charte olympique."

 

Résister à toute pression religieuse… Une réussite de toute évidence.

 

Il aura contredit sa volonté d’interdire de diffuser des messages politiques comme il l’impose pourtant à tous les athlètes. En autorisant non pas la liberté de porter le voile, mais son obligation par certaines délégations, il aura légitimer ceux qui font de la religion ou de ses signes ostensibles une tribune politique fondée sur l’instrumentalisation de la foi.

 

Enfin, il aura bafoué la culture du judo en lui préférant de manière parfaitement arbitraire la culture d’une nation. Depuis quand, aux Jeux olympiques, les valeurs d'une nation supplantent-elles celles du sport ?

 

Mais, et c’est sans doute le plus grave, dans les tous les cas, c'est évidemment la cause féminine dans le monde qui vient de connaître un recul. Désormais, ceux qui contrôlent leur liberté ont le pouvoir de décider, même quand ils gambadent sur les terres prétendues de l’universalisme. Prétendues, car l’olympisme, depuis longtemps, a bien perdu de ses idéaux.

source le nouvel obs

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