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grincheuxmarrant
13 mars 2012

Protectionnisme : «Sarkozy est en pleine contradiction»

Un douanier
Un douanier

Nicolas Sarkozy a proposé de créer un «Buy European Act», obligeant le secteur public à recourir à des entreprises européennes pour ses commandes. Journaliste à L'Expansion, co-auteur du livre Inévitable protectionnisme (Gallimard), Franck Dedieu revient sur cette proposition, «bonne à prendre» mais inadaptée selon lui.

 

Le principe du libre-échange, c'est que les entreprises achètent le moins cher possible, quelle que soit l'origine des biens. Avec le BEA, il y a un facteur de nationalité : les commandes publiques doivent être passées en priorité auprès d'entreprises européennes, pour éviter le moins-disant social.

Une telle mesure est-elle compatible avec les règles du commerce international édictées par l'OMC ?

Il faut savoir qu'il y a, parmi ces règles, un article 19 qui légitime un certain degré de protectionnisme lorsqu'il en va du respect de la nature et de la vie des personnes. Des pays d'Afrique de l'Ouest, par exemple, y ont eu recours, et personne n'a osé le leur reprocher. Et un autre article l'autorise en cas de distorsion du taux de change monétaire, ce qui est le cas du Yuan chinois. Mais cette disposition n'a jamais été appliquée.

Quelles peuvent être les modalités de cette mesure ?

C'est une mesure très complexe, que Nicolas Sarkozy n'a pas détaillée : que seront les quotas ? Parle-t-on seulement des PME, ou aussi des multinationales américaines ? De tous les secteurs d'activité ? Aux Etats-Unis, par exemple, 100% des dépenses de Défense doivent être «made in USA». En France, on est pour l'instant dans des propos de campagne qui sont aussi une fuite en avant, et contradictoires avec la conversion du Président au modèle allemand.

Sur le fond, le BEA peut-il fonctionner ?

Il procède d'une logique qui favorise la demande intérieure. C'est toujours bon à prendre, mais c'est déjà un vieux sujet, que défendait par exemple Edith Cresson au début des années 1990, ou plus récemment Christine Lagarde. Par contre, on laisse de côté la question des importations : est-on prêt à augmenter les droits de douane au niveau européen, pour taxer les produits ne respectant pas des normes fiscales, environnementales, sociales ?

Les libéraux ont-ils raison de dire que cela pèserait sur le pouvoir d'achat ?

Mais à quoi sert de payer 25% moins cher si cela conduit au chômage ? Il y a là un problème de cohérence de Sarkozy, qui, d'un côté, épouse les thèses allemandes de baisse du coût du travail, et de l'autre, veut pratiquer un protectionnisme qui fera augmenter les prix. La question majeure, c'est : lequel de ces deux modèles voulons-nous suivre ? Le Président est en plein dans cette contradiction, qui fait aussi écho à la position de la France, quelque part entre l'Europe du nord libérale et l'Europe du sud. La crise doit nous pousser à choisir.

Quels sont les risques de rétorsion de la part des autres pays ?

Les Européens ont tendance à les surestimer. Obama a imposé en 2009 une taxe de 35% sur les pneus chinois, le patronat s'est alarmé. Or, cette mesure a créé des milliers d'emplois sans dommage pour le commerce sino-américain. Les entreprises sont trop dépendantes entre elles.

L'Europe d'aujourd'hui est-elle vraiment sans défense face au libre-échange ?

Non, il y a encore des droits de douane, des politiques anti-dumping. Mais elle a choisi le pire des protectionnismes, celui des normes sanitaires et techniques. C'est une méthode peu transparente, pas assumée, assez lâche finalement. Nous proposons, par exemple, que le niveau de taxe équivale à la différence entre les augmentations de productivité et les augmentations de salaire dans le pays de production. Car une partie croissante de la valeur ajoutée va au capital, et pas au travail.

Pourquoi les autorités européennes ne se rallient-elles pas au protectionnisme ?

Je pense que c'est une question d'idéologies. Certains pays sont sur des autoroutes mentales et n'en sortiront pas, même s'ils approchent du mur. Je ne veux pas prendre le parti du Parti socialiste, qui, concernant le protectionnisme, avance sur la pointe des pieds. Mais Martine Aubry a signé avec le SPD allemand une déclaration qui témoigne d'une certaine prise de conscience chez les sociaux-démocrates.

Historiquement, quel est le rapport de la France au protectionnisme ?

Il est né à droite, à l'époque où le patronat faisait son chiffre d'affaires à l'intérieur des frontières nationales. Puis il passe à gauche au milieu du XIXe siècle, quand le patronat s'est mis à l'exportation. Au début, la gauche assimilait liberté individuelle et liberté commerciale. Puis, elle a pris le parti des ouvriers, qui voulaient protéger les emplois nationaux.

source libération

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grincheuxmarrant
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