Dassault, Takieddine, Juniac, Gaubert L’album photos du clan présidentiel en Colombie
«Ici, c’est une vie saine. On fait des promenades, du sport, du cheval. C’est pas un lieu de turpitudes. C’est pas Saint-Tropez.» Thierry Gaubert tente de répondre à la question que tout le monde se pose. Pourquoi Nilo ? Pourquoi lui, le protégé de Nicolas Sarkozy, a-t-il choisi un petit village colombien, à 150 km de Bogota et 9.000 km de Paris, pour y construire la villa de ses rêves, la finca Cactus, en 2001. Pourquoi ? Si ce n’était pour la cacher. Dissimuler la propriété, en même temps que l’argent noir qui a servi à son édification et à son entretien.

 La demeure colombienne de T. Gaubert

La demeure colombienne de T. Gaubert© Mediapart

 L’histoire professionnelle de Thierry Gaubert, qui doit être jugé prochainement à Nanterre dans un important scandale immobilier, est tissée de missions financières occultes. Sa femme, Hélène, a parlé en septembre aux juges de ses voyages en Suisse avec le marchand d’armes Ziad Takieddine, des remises de fonds en espèces à Nicolas Bazire, actuel n°2 du géant du luxe LVMH, durant la campagne présidentielle d’Edouard Balladur, en 1995.

Elle a rappelé au passage que lorsqu’il « allait en Suisse avec Ziad Takieddine », son mari « travaillait au ministère du budget »…sous les ordres de Nicolas Sarkozy. Gaubert, Bazire et Takieddine sont aujourd’hui mis en examen par le juge Van Ruymbeke dans ce dossier.

 Le 5 juillet, en faisant irruption dans les bureaux et au domicile de l’ami du président, les policiers français qui travaillent avec le magistrat vont faire une moisson de photos : stockées dans les ordinateurs, dans les boîtes mails ou des albums classiques. Ces clichés obtenus par Mediapart révèlent la Colombie secrète de Thierry Gaubert. La finca Cactus, soustraite depuis dix ans à la curiosité du fisc, apparaît au grand jour.

Un visiteur de marque, Ziad Takieddine, qui viendra deux fois, est aperçu sur l’un des clichés, ici en décembre 2002.

 Z. Takieddine, à droite, un coupe-coupe à la main.

Z. Takieddine, à droite, un coupe-coupe à la main.© dr

 Il était logique qu’il vienne. A l’époque de cette photo, le marchand d’armes, qui a contribué à l’enrichissement de M. Gaubert, est devenu l’un des rouages du clan Sarkozy autour des marchés du ministère de l’intérieur. M. Takieddine invite lui-même beaucoupdans sa propriété du cap d’Antibes, le premier cercle du futur chef de l’Etat : outre M. Gaubert, ses amis Dominique Desseigne (patron du Fouquet’s), Brice Hortefeux, Pierre Charon et Jean-François Copé.

En 2002, pour les fêtes de Noël, la finca Cactus attend un autre homme clé de ce réseau politique : Olivier Dassault, fils du célèbre avionneur, député UMP de l’Oise et administrateur de la Socpresse, la société éditrice du quotidien Le Figaro. Lors d’une randonnée, Takieddine et Dassault prennent la pose autour de Thierry Gaubert.

 MM. Takieddine, Gaubert et Dassault.

MM. Takieddine, Gaubert et Dassault. © dr

 MM. Takieddine et Dassault

 MM. Takieddine et Dassault© drr

 Simples photos de randonneurs ou flagrant jeu d’influence ? La question se pose. Comme Mediapart l’a déjà raconté, photos à l’appui, Etienne Mougeotte, le directeur des rédactions du Figaro, alors vice-président de TF1, avait été lui aussi plusieurs fois l’invité de M. Takieddine à des dîners organisés dans sa résidence parisienne, aux côtés de Charles Villeneuve, l’ancien animateur et producteur du Droit de savoir.

Malgré ses liens, M. Mougeotte avait défendu « l’objectivité » du traitement – autant dire l’absence de suivi… – de l’affaire Takieddine dans les colonnes de son quotidien.

 La famille des propriétaires du Figaro a d’ailleurs déjà frayé avec Takieddine. Fréquemment invité à ses dîners, Thierry Dassault, le frère d’Olivier, patron de la branche «multimédia» de l’empire familial, avait investi dans la société Gemplus aux côtés du marchand d’armes. « Olivier Dassault, c’est un très bon ami, explique Thierry Gaubert. Il est venu avec sa femme et son fils, et je n’ai jamais fait d’affaires avec lui. »

Des invités aux petits soins

 La villa “Cactus" de Thierry Gaubert, encore en travaux.

La villa “Cactus” de Thierry Gaubert, encore en travaux.© dr

 Vue intérieure de la villa Cactus.

 Vue intérieure de la villa Cactus.© dr

 Fin décembre 2002, en Colombie, avec Dassault et Takieddine en pères Noël, les attentions sont de chaque instant. « La température moyenne de jour est de 30° et de nuit 24° environ », précise une petite plaquette plastifiée.

 Une dizaine d’employés sont mobilisés. Dans la finca, tout est organisé au millimètre. Pour commencer, une liste des invités est imprimée. Chaque couple et leurs enfants se voient attribuer des chambres différentes, aux couleurs bien identifiées. Ziad et Nicola Takieddine se retrouvent dans la « violette ». Il y a encore les chambres « vert d’eau » ou « saumon », « rose » et « verte ».

 Des serviettes de piscine blanches «bordées de la couleur de votre salle de bains» sont mises à la disposition de chacun. Et, pour le petit-déjeuner, « il n’est pas obligatoire de se présenter en tenue définitive : le peignoir est toléré », précise un autre document interne à la maison.

 Le soir, M. Takieddine s’y amuse beaucoup.

 

 MM. Takieddine et Gaubert, avec leurs ex-épouses respectives.

MM. Takieddine et Gaubert, avec leurs ex-épouses respectives.© dr

 Le programme de chaque journée est aussi imprimé et distribué aux hôtes. Tout est précisé, à l’heure près, « cocktail », « piscine », « promenade écologique » et soirée festive. Mais aussi « cours de salsa » pour les danseurs, « un paseo a caballo » – la balade à cheval –, ou « tournoi de billard » pour les moins sportifs…

 D’autres photos, saisies par les policiers, montrent la visite de la base militaire voisine, et les pelotons en rang d’oignons devant les drapeaux. Un incontournable du programme de Cactus. Ceux que cela intéresse doivent porter des « tenues militaires ».

 Le 28 décembre 2002, les invités vont au marché de la ville voisine de Girardot. M. Takieddine s’y entiche d’un perroquet.

 Z. Takieddine, en pleine négociation au marché de Girardot.

 Z. Takieddine, en pleine négociation au marché de Girardot.© dr

 

 Z. Takieddine.

 Z. Takieddine.© dr

 Pour cette fin d’année 2002, Thierry Gaubert et son épouse Hélène, née princesse de Yougoslavie, n’ont pas lésiné sur les invitations : l’homme d’affaires, Thierry de la Brosse, propriétaire de plusieurs restaurants chics et ancien directeur général de l’Olympique de Marseille, décédé en 2010, est lui aussi de la partie, avec son épouse. Le frère de Thierry de la Brosse, François, est connu pour être l’un des conseillers en communication du président de la République, dont il a été un pilier de la campagne de 2007.

 Thierry de la Brosse et sa femme décideront d’acheter quelques années plus tard eux aussi une finca sur la colline voisine, derrière la propriété de l’ancien président de la Colombie, Andres Pastrana.

 

 MM. Gaubert, Dassault et Takieddine.

MM. Gaubert, Dassault et Takieddine. © dr

 MM. Couzi et Dassault dans la forêt colombienne.

 MM. Couzi et Dassault dans la forêt colombienne.© dr

 Une invitation aux anciens membres du cabinet Sarkozy…

 

MM. Couzi (à gauche) et Takieddine.
MM. Couzi (à gauche) et Takieddine.© dr

 La finca Palmera, la deuxième résidence du domaine, construite par le meilleur ami de Thierry Gaubert, Jean-Philippe Couzi, l’ex-mari d’Astrid Betancourt, la sœur d’Ingrid, est intégrée au programme des visiteurs. Les deux hommes se connaissent depuis les années 1980, quand M. Gaubert conseillait le maire de Neuilly et que M. Couzi était encore voyagiste. Dans le sillage des Gaubert, Couzi a sympathisé avec Nicolas Bazire et rencontré personnellement Nicolas Sarkozy, chez les parents d’Hélène Gaubert, à Miami.

 La propriété de Couzi, en 2003, avant qu'une tour ne soit édifiée.

La propriété de Couzi, en 2003, avant qu’une tour ne soit édifiée. © dr

Les propriétés Palmera et Cactus, bâties presque simultanément, sont séparées de quelques centaines de mètres. Impressionnant avec ses colonnades, le palais de Couzi accueille donc les familles Takieddine, Gaubert et Dassault pour des cocktails et des dîners.

 

 Jusqu’au jour du départ, le séjour est réglé au cordeau. Il suffit de déposer les bagages«devant les chambres» ;des petites mains feront le reste. Un livre d’or attend les commentaires tandis qu’une«cérémonie d’adieu» est prévue… Puis direction « le salon VIP » de l’aéroport de Bogota, situé à plusieurs heures de route du paradis secret de Thierry Gaubert. 

 Olivier Dassault reviendra une deuxième fois. « M. Dassault m’avait dit qu’il faisait un reportage photo en Amérique latine, et il est repassé à cette occasion, là-bas, deux ou trois nuits, mais c’est tout », assure Thierry Gaubert.

 Quand ils perquisitionnent en juillet dernier les bureaux de M. Gaubert, au sein du géant bancaire BPCE, les enquêteurs français ne sont pas au bout de leurs surprises. Ils mettent la main sur « un ensemble de documents liés à Cactus » et trouvent « des mails relatifs à une invitation aux anciens membres des cabinets du budget-communication 1993-1995 ». Soit les deux portefeuilles ministériels de Nicolas Sarkozy à l’époque. On ignore s’il s’agit d’une large invitation à se rendre à Nilo.

 En tout état de cause, Alexandre de Juniac, qui fait partie de ce puissant réseau, pour avoir été le directeur adjoint de cabinet de M. Sarkozy au ministère du budget (1993-1995), s’est rendu lui aussi en 2006 en Colombie à l’invitation de Thierry Gaubert, dans sa villa secrète. Une photo prise dans la petite ville voisine de Girardot en témoigne :

 Alexandre de Juniac, en Colombie

 Alexandre de Juniac, en Colombie© dr

 Alexandre de Juniac n’est pas le premier venu dans la sphère sarkozyste. Après son passage au cabinet du ministre du budget sous le gouvernement d’Edouard Balladur, ce haut fonctionnaire venu du Conseil d’Etat fait carrière dans l’industrie de l’armement, au sein des groupes Dassault et Thalès.

 Chez Thalès, il a enchaîné les postes à responsabilité: secrétaire général du groupe, directeur général chargé de la division des systèmes aériens, puis directeur adjoint des départements Asie/Afrique/Moyen-Orient et Amérique latine, poste qu’il occupe lorsqu’il vient à Nilo. « Lorsqu’il est venu, il était en vacances, jure M. Gaubert. Il n’a jamais travaillé quand il était là-bas. »

 En 2009, M. de Juniac devient le directeur de cabinet de la ministre de l’économie Christine Lagarde, à Bercy, où il est perçu comme une sorte d’œil de l’Elysée. Depuis la fin du mois d’octobre, il est le président d’Air France. Sollicités par Mediapart, MM. Dassault et de Juniac n’ont pas donné suite à nos demandes d’entretien sur leurs vacances en Colombie.

Mediapart

source http://mediabenews.wordpress.com/2011/12/03/dassault-takieddine-juniac-gaubert-lalbum-photos-du-clan-presidentiel-en-colombie/