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grincheuxmarrant
10 juillet 2012

Bénichou: "En boxe, la défaite, c'est une humiliation"

Bénichou: "En boxe, la défaite, c'est une humiliation"

BOXE - Le 11 juin dernier, Fabrice Bénichou, star de la boxe des années 1990, a tenté de mettre fin à ses jours.

Fabrice Bénichou, star de la boxe des années 1990, a tenté de mettre fin à ses jours. De la clinique de Boulogne-Billancourt dont il sort cette semaine, il a donné à L'Express son premier long entretien et raconté sa "Putain de vie". 

La dépêche AFP est tombée le 11 juin: Fabrice Bénichou, star de la boxe des années 1990, a tenté de mettre fin à ses jours. Triple champion du monde et quintuple champion d'Europe, il avait raccroché les gants en 1998, avant de tenter un improbable come-back au Panama, il y a six ans. De la clinique de Boulogne-Billancourt dont il sort cette semaine, Fabrice Bénichou a donné à L'Express son premier long entretien. Il nous raconte sa "Putain de vie" (titre de son autobiographie chez Plon), sur le fil du rasoir, hors du commun. Fils unique d'un fakir qui court le monde avec ses spectacles, enfance autodidacte, baignée de violence en Amérique du Sud... La gloire, puis la chute. Un récit conforme au style Bénichou, abrasif, gouailleur, attachant. 

Il y a un mois, vous avez frôlé la mort. Comment vous sentez-vous?

Beaucoup beaucoup mieux. Même si l'angoisse, la boule, sont toujours là. En fait, c'est le même sentiment que quand on boxe, on s'en prend une bonne, on met un genou à terre et on se demande ce qu'on va faire dans la seconde qui suit: je me relève, je me bats ou je baisse les bras? Un peu comme pendant mon championnat du monde, en 1992 à Toulouse, contre Paul Hodkinson, le meilleur poids plume des dix dernières années. Il se trouve que je me suis relevé et que je me suis battu comme un tigre. Jusqu'à ce qu'on m'arrête pour blessure... On est à la recherche de la foi, dans ces moments-là, sa foi personnelle. Voilà comment je me sens.  

Je suis hypersensible, je chiale devant un film de Disney 

Qu'est-ce qui s'est passé?

Les pompiers ont reçu un coup de fil leur disant que j'allais faire une connerie. J'avais averti par téléphone deux ou trois proches, je leur ai dit: "Basta, je n'arrive plus à voir le bout du tunnel, je veux m'en aller." J'ai aussi écrit à mes amis sur Facebook. "Je vous aime." Les pompiers, suivis des flics, sont arrivés, ils ont frappé à la porte. J'étais dans le studio que me prête un ami, à Paris. Moi, je suis tellement douillet que, pour me planter un couteau dans le ventre, je m'étais torché comme pas possible. Donc quand les flics ont frappé, comme un con, j'ai ouvert, mon couteau entre les mains. Ils ont cherché à me calmer. A un moment, je me suis retourné et je me suis pris un coup de Taser dans le dos. Malgré ça, ils ont failli s'en prendre une et ils se sont mis à trois ou quatre pour me maîtriser. Je me suis vite calmé, parce que je suis tout sauf un violent. Je n'aime pas la violence. Je suis un hypersensible, je chiale devant un film de Disney.  

Ce n'est pas la première fois que vous touchez le fond.

Le triple champion du monde confesse être devenu boxeur par hasard. "Dans les bastons, à l'école, quand on était en Amérique du Sud, j'étais très bagarreur", explique-t-il à L'Express.

Le triple champion du monde confesse être devenu boxeur par hasard. "Dans les bastons, à l'école, quand on était en Amérique du Sud, j'étais très bagarreur", explique-t-il à L'Express.

Non, mais cette fois, j'allais le faire. J'étais tellement dans le noir. Au départ, c'était un appel au secours, et puis je me suis dit: "Il y en a marre..." Ma dépression, je la traîne depuis longtemps, je ne l'ai jamais vraiment soignée. Il y a eu ce déclencheur, le fait d'avoir perdu ma femme. Elle m'a quitté, elle est exceptionnelle. Elle a eu raison. Et puis je me sentais inutile, je voyais les portes se refermer les unes après les autres, dans le sport ou autre. J'étais fatigué de me battre. Quand toute ta vie, t'en as chié sur un ring, tu es fatigué de te battre.  

Vous avez pourtant atteint le sommet, en boxe: trois fois champion du monde, cinq fois champion d'Europe. Ce sport, ce n'était pas vraiment ce que vous vouliez faire, au départ?

Je suis devenu boxeur par hasard. Dans les bastons, à l'école, quand on était en Amérique du Sud, j'étais très bagarreur. Mais j'ai boxé pour exister. Je voulais être une star. J'ai boxé comme j'aurais pu être danseur ou acteur. J'aurais voulu être un artiste.  

Le ring, c'était un peu votre scène...

Oui, j'ai voulu créer un personnage, à l'américaine, qui n'existait pas en France, à ce moment-là, grande gueule, provocateur, avec une touche "frenchy". Et ce personnage, il fallait bien que je l'assume. Pour ça, il fallait que je gagne. Je ne laissais jamais indifférent, c'était le but du jeu. C'est pour cette raison que je me suis fait tellement d'ennemis, dans les medias, le monde de la boxe. La Fédé française n'a jamais pu me blairer. Là-bas, tu vois des photos de tous les champions, pas de moi. Au début, je suis passé pro au Luxembourg parce qu'on ne me donnait pas la licence, ici. En France, il y a une forme de condescendance vis-à-vis de ceux qui réussissent. Il ne faut surtout pas ouvrir sa gueule quand on réussit. 

Vous n'avez jamais aimé le monde de la boxe...

Non, jamais, les paris, le management, tout ça. Je ne supportais pas ce milieu. Je n'ai été qu'un simple cheval de course, en fin de compte. Mais c'est aussi de ma faute. Je me complaisais là-dedans. J'aurais dû ouvrir les yeux plus tôt et gérer correctement ma carrière.  

Je serais plein au as si j'avais mieux géré ma carrière 

Vous avez gagné en effet des sommes considérables à l'époque où la boxe faisait lever les téléspectateurs, la nuit. Et les dettes se sont accumulées...

Ben oui, je n'ai plus que deux ou trois crédits, aujourd'hui, mais c'est sûr que je serais plein aux as si j'avais mieux géré ma carrière. Je pouvais signer 600 000 francs pour un championnat d'Europe, je touchais peut-être 100 000 ou 200 000 francs et le reste était placé, soi-disant... Qui gérait ça? Les mauvaises langues diront que c'est mon père. D'autres diront que ce sont des hommes d'affaires. C'est vrai que j'ai laissé faire papa, et papa a fait le con. Il a claqué pas mal, il en a fait claquer pas mal, en faisant confiance à des gens. Où est passé tout ce fric? Je n'en sais rien. Je m'en fous. De toute façon, je n'ai pas envie de savoir.  

C'est qui, Fabrice Bénichou? Le puncheur surpuissant qui rentrait direct dans le lard de son adversaire, le champion managé par son père, ou l'homme d'aujourd'hui, fragile?

J'ai toujours eu en moi cette fragilité, qui vient aussi de notre mode de vie instable. Enfant, je suivais mon père, qui était fakir et faisait des spectacles de folie partout dans le monde. Je suis un gosse de cirque, je me suis forgé dans l'errance, je ne suis presque jamais allé à l'école, j'ai vécu dans pas loin de 70 pays, beaucoup lu, je parle six langues. Et c'est vrai qu'il y avait Bénichou, le personnage qui s'exprimait sur le ring et celui qui s'exprimait dans la vie. Avec une forme de conflit entre les deux. La boxe, c'est une violence canalisée, pointue, précise. Grâce aux techniques de respiration, de concentration que j'ai apprises avec mon père, je transformais ma personnalité de Dr Jekyll en Mr Hyde. C'est ça qui m'a permis d'être boxeur: il fallait être hyper violent en quelques minutes. Dans la vie de tous les jours, je suis plutôt "peace and love", même si j'ai une sale gueule. J'aime plutôt calmer une situation par le regard ou les mots, que me bastonner.  

"La boxe, c'est une violence canalisée, pointue, précise. Grâce aux techniques de respiration, de concentration que j'ai apprises avec mon père, je transformais ma personnalité de Dr Jekyll en Mr Hyde", explique l'ancienne star des rings (ici à gauche lors d'un combat en 1993 contre Stéphane Haccoun).

"La boxe, c'est une violence canalisée, pointue, précise. Grâce aux techniques de respiration, de concentration que j'ai apprises avec mon père, je transformais ma personnalité de Dr Jekyll en Mr Hyde", explique l'ancienne star des rings (ici à gauche lors d'un combat en 1993 contre Stéphane Haccoun).

 

Votre légende de la boxe, c'est qui?

Roberto Duran, alias "Manos de piedra", mains de pierre. Un assassin, avec une putain de gueule de chicanos. Avec Ray Sugar Leonard, il a été champion du monde dans cinq catégories! J'ai eu la chance de mettre les gants avec lui, au Panama, où j'ai vraiment appris la boxe. Un jour, j'étais dans la salle, en train de m'entraîner, Duran arrive. Un bide énorme, il devait peser 90 ou 100 kilos. Il avait besoin de quelqu'un pour s'échauffer. "Fabrizio, ven paca!" Intimidé, je monte sur le ring. Je bouge, je bouge... L'entraîneur me dit: "Arrête de bouger comme ça, tu vas l'énerver! Fais gaffe à toi." Tout à coup, je vois Duran tirer un direct du gauche. Baam! Je me suis pris un bloc de granit dans la tronche. J'ai dit: "Stop!" Et je suis redescendu. C'était dément. Aucun autre boxeur ne m'a jamais mis ça, de toute ma vie. Moi, à côté, j'étais un enfant de choeur. Quand il touchait, il détruisait.  

On a souvent parlé de votre style, très personnel, anarchique et généreux...

Je n'avais pas une boxe académique, c'est sûr, mais elle était efficace. J'ai fait près de 70 combats et mon électroencéphalogramme est nickel. J'ai juste une trace dans la tête due à une chute quand j'avais neuf ans, c'est tout. Il y a un paquet de boxeurs, à 30 combats, qui ont des taches dans le cerveau, des problèmes. Moi, on croyait que je prenais beaucoup de coups mais je les amortissais. Je marquais parce que j'étais un petit blanc, je sortais avec les yeux comme des oeufs de pigeon, mais le cerveau n'a pas morflé. J'étais petit, donc j'étais obligé d'avoir une boxe de battant, d'aller au contact, à la guerre. Et je foutais la trouille au mec en face. Par la psychologie. Un jour, je suis allé accueillir mon adversaire, un Colombien nommé Mendoza, champion du monde WBA en titre, à la descente de l'avion, pour lui souhaiter la bienvenue. Le type était sur le cul. 

J'ai tout fait, oui, des apparitions dans des téléfilms, j'ai travaillé à l'usine, dans des chambres froides de supermarché... 

La trouille, parlons-en. Vous avez souvent parlé de votre peur à vous, avant les combats. Elle était si présente?

Oui, avant chaque combat, c'était l'horreur. C'est un sentiment horrible, cette boule, cette envie de vomir... Imagine un mec qui va te taper dessus, tous les gens autour qui te regardent et qui vont se foutre de ta gueule. Quand on est trouillard comme je le suis, il faut arriver à transformer cette peur en haine, en agressivité. Alors je me concentrais, je faisais appel à des techniques de respiration. C'est aussi à cause de ça que je partais en courant des vestiaires pour monter sur le ring. Entre les loges et le ring, c'est le passage le plus long, là où l'angoisse est la plus forte. Les gens croyaient que c'était du cinéma, mais non. J'arrivais et au gong, je devenais Bénichou le boxeur. Je devenais très méchant, dans un état second. La défaite, en boxe, ce n'est pas comme dans un autre sport. C'est une humiliation. On ne dit pas: "Il a perdu, il s'est bien battu." Dans la boxe, il n'y a pas de numéro deux. Tu perds, tu passes pour un con, c'est terrible. Je boxais toujours dos au précipice. Je n'avais pas le droit de perdre.  

D'autant que vous faisiez vivre toute la famille...

Oui. Tout était focalisé sur moi, tout le monde investissait son énergie sur moi, et il fallait que je réussisse pour tout le monde. Quand mon père était une grande vedette, il nous faisait vivre. Après, c'était moi. J'étais aussi obligé de remonter sur le ring pour ça.  

"Dans la boxe, il n'y a pas de numéro deux. Tu perds, tu passes pour un con, c'est terrible. Je boxais toujours dos au précipice"

"Dans la boxe, il n'y a pas de numéro deux. Tu perds, tu passes pour un con, c'est terrible. Je boxais toujours dos au précipice"

Après la gloire, vous avez connu le RMI, les petits boulots... De quoi vivez-vous, aujourd'hui?

J'ai tout fait, oui, des apparitions dans des téléfilms, j'ai travaillé à l'usine, dans des chambres froides de supermarché... Il y a un an, je me levais à trois heures du matin pour ça. La tête des gens quand ils me voyaient arriver à l'usine! En réalité, même si j'avais arrêté la boxe plusieurs fois, j'y suis aussi revenu plusieurs fois. Je pense, après ce qui vient de se passer, que je viens tout juste de refermer le livre de la boxe, émotionnellement... Et donc, en ce moment, je vis du coaching. Je survis, plutôt. Je mets en place des projets. Je n'ai plus droit à aucune aide et tant mieux, ça m'oblige à me bouger. Si tu restes dans l'assistanat, tu ne fais rien. 

Quels projets avez-vous?

J'en ai plusieurs, dont celui de partir aux Emirats Arabes Unis, après l'été, pour former des sportifs. Ils sont très intéressés par mon nom, n'ont pas d'équipe de boxe... Mais avant ça, je vais donc m'investir dans le coaching. Moi qui cherchais quoi faire pendant si longtemps, j'ai trouvé quelque chose qui me plaît, enfin. Jacques Séguéla m'a tendu la main, encore une fois, pour m'aider à trouver des clients parmi des chefs d'entreprise. C'est devenu une mode, aujourd'hui, mais aussi une nécessité: les gens ont besoin de faire du sport pour être bien dans leur tête, dominer leur peur, se surpasser. Avec mon bagage sportif, ma connaissance du yoga, des techniques de respiration, je peux facilement transmettre, j'aime ça.  

Quand vous repensez, là, à votre passé de champion, qu'est-ce qu'il vous évoque?

De la douleur, à cause du gâchis. J'aurais pu faire tellement plus.  

Ça fait quoi, la vie normale, une fois qu'on descend du ring?

Ça fait peur. Quand on arrive dans la vie normale, on réalise que vivre, c'est l'équivalent du sport de haut niveau. Moi, j'ai touché mon rêve, mais quand on devient quelqu'un de connu, ok, c'est formidable, et après? Est-ce que c'est ça qui fait vivre? Maintenant, j'ai décidé de me battre pour moi-même. Je repars à zéro, avec mon nom et mon CV. Et je vais vivre dans le monde des hommes.

source l'express

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